L’entreprise 2.1
Par Christophe Gonon, Associé Octobre 2015.
Allez, soyons fous, soyons rêveurs : imaginons le visage de cette entreprise du XXIe siècle, dont notre économie et sa crise latente finiront par accoucher dans la douleur. À quoi ressemblera cette entreprise 2.1 ?
Tout d’abord un constat :
Selon le sondage Gallup de 2012 (1), seulement 9% des salariés se sentent engagés dans leur travail en France. D’emblée, le décor est posé. Un mauvais résultat qui peut s’expliquer par la sévère crise économique et le haut niveau de chômage.
Une majorité de mécontents de leurs conditions de travail mais qui s’en contentent de peur de se retrouver sans emploi ?
Peut-être.
Une majorité de mécontents de leurs conditions de travail car l’entreprise dans laquelle ils travaillent ne répond pas à leurs besoins de salariés?
Plus juste, si on en croit les commentaires des personnes sondées.
Mais de quels besoins s’agit-il exactement?
Suivons là la théorie de l’autodétermination de Deci & Ryan : l’humain, d’une façon innée, tendrait à satisfaire trois besoins psychologiques fondamentaux, à savoir le besoin d’autonomie, le besoin de compétence et le besoin d’affiliation (2).
Les besoins d’un employé seraient donc principalement de se sentir à l’origine de ses actions (autonomie), de sentir qu’il a un impact sur son environnement (compétence), et d’avoir le sentiment d’être relié à des personnes importantes à ses yeux (affiliation).
Forcément, avec de tels besoins, quand on parle à un employé de « maximisation de profit pour satisfaire les actionnaires », de « N+1 à N+6 » et de « procédures internes à respecter » : on sent déjà le fossé se creuser.
N’ayons donc pas peur de le dire haut et fort : « Non, le modèle d’entreprise qui prédomine dans le monde économique d’aujourd’hui ne répond pas aux besoins de ses employés. »
Alors, à quoi ressemblera la version 2.1 ?
Il s’agira tout d’abord d’une entreprise qui responsabilisera ses employés pour leur fournir l’autonomie recherchée. Moins de hiérarchie : vive l’entreprise libérée !
Ensuite, l’entreprise de demain créera un environnement ayant un impact positif sur ses employés. Après tout, c’est nous, humains, qui avons créé ces grosses machines bien huilées. Pourquoi ne pas les utiliser pour qu’elles aient un effet désirable sur notre société ? Sur notre environnement ? Sur un plus grand nombre de personnes ? (Vous avez dit entreprises sociales ?)
Et, finalement, cette entreprise 2.1 permettra de souder les gens entre eux : moins de hiérarchie, pour plus de collaboration, au sein d’un écosystème où les responsabilités sont réparties de manière égale, et où la reconnaissance vient non plus du titre, mais de la compétence.
Ah, elle a du chien cette entreprise 2.1 ! Vous direz : illusion, infaisabilité, rêveries…
Et pourtant, cette entreprise, elle marche !
C’est ce qu’on peut observer chez Poult, aujourd’hui le deuxième vendeur de biscuits en France, derrière LU. Poult a opéré une révolution dans le management dès 2006, en permettant à des collectifs d’employés de décider des salaires et des investissements. L’entreprise a également supprimé plusieurs niveaux hiérarchiques. Conséquence de ces mesures démocratiques radicales : la productivité a doublé ! (3)
Autre exemple : le PDG de Chronoflex a demandé à ses employés d’identifier les valeurs de leur entreprise. Ce sont eux qui ont redessiné son organisation lors de groupes de travail, en réduisant le management intermédiaire, en revoyant le système de primes annuelles et en changeant le découpage territorial. Suite à ces mesures, le chiffre d’affaires du groupe, en mauvaise posture à l’époque, a bondi de 15% dès la première année. Son taux d’absentéisme a baissé et l’entreprise s’est remise à embaucher : 60 personnes en 2014 et 20 en 2015(4).
Sur les dix dernières années, les entreprises de l’Économie Sociale et Solidaire, dont l’objectif principal est d’avoir un impact social ou environnemental positif, ont créé 440 000 emplois nouveaux, avec une croissance de 23 %. Dans le même temps, l’ensemble de l’emploi du monde de l’entreprise traditionnelle n’augmentait que de 7 % (5).
Là où l’entreprise 2.0 utilise les technologies modernes pour libérer la force de travail des employés, l’entreprise 2.1 ira encore plus loin : elle retrouvera une place à valeur sociale ajoutée dans le monde d’aujourd’hui, en se mettant aux services de ses employés et de leur environnement.
Alors, ça fait pas de mal de rêver un peu ? Qu’attendons-nous donc pour accélérer le passage à l’entreprise 2.1 ?
Christophe Gonon
Associé On Purpose, promotion Février 2015
(2) (Deci & Ryan, 2000, 2002, 2008)
(3) http://internetactu.blog.lemonde.fr/2014/12/13/poult-le-management-democratique-existe/
(4) http://www.lexpress.fr/emploi/comment-le-patron-de-chronoflex-a-libere-ses-salaries_1653221.html
(5) http://www.economie.gouv.fr/cedef/economie-sociale-et-solidaire
Reportage lié: http://bonheurautravail.arte.tv/