Quand l’entreprise redonne tout son sens au travail

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Face à l’exclusion durable du marché de l’emploi, les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) et les entreprises adaptées (EA) proposent une réponse concrète : offrir un travail digne, véritable tremplin vers une reconnexion à soi et aux autres. Nous sommes allés à la rencontre de deux acteurs de l’économie sociale et solidaire, Carton Plein et Séquences Clés Production, qui partagent une même conviction : permettre à chacun·e de retrouver sa place dans un collectif grâce au travail, et amorcer ainsi un parcours de reconstruction personnelle.

« Le travail ne se réduit pas à une activité économique : il est thérapeutique. Il permet à une personne en difficulté (psychique, sociale, affective) de retrouver une image positive d’elle-même en se voyant utile aux autres et à la société. » (Jean-Michel Oughourlian, dans son ouvrage « Le travail qui guérit l’individu, l’entreprise, la société »)

L’insertion par le travail : un levier d’inclusion et de dignité

Les personnes accompagnées par des entreprises d’insertion (EI) ou qui travaillent dans des entreprises adaptées (EA) ont en commun un éloignement durable de l’emploi, souvent lié à des parcours de grande précarité, de dépendance, de handicap ou d’exclusion sociale.

Trouver un emploi c’est déjà parfois un parcours du combattant quand on n’a pas de logement, qu’on est incapable de se projeter dans un emploi stable à cause de la précarité de son quotidien. « Habiter dans la rue, c’est déjà un job à temps plein » nous livre un Accompagnateurs Socio-Professionnel (ASP) chez Carton Plein. Cela résume bien la réalité de nombreuses personnes sans domicile, dont l’énergie est monopolisée par la survie.

Pour ces gens-là, loin d’être un simple contrat de travail, l’insertion est un moyen de reconstruire l’estime de soi, de retrouver un rythme, un cadre, des droits. Comme l’affirme Jean-Michel Oughourlian dans son livre « Le Travail qui guérit l’individu, l’entreprise, la société » : « C’est par le regard de l’autre que je me reconstruis. » Le travail collectif recrée une relation vivante, « le vrai lieu du soin » qui permet de se réinscrire dans le tissu social.

Chez Carton Plein, le carton redonne de la dignité

À première vue, on y collecte simplement des cartons à vélo pour leur donner une seconde vie. En réalité, Carton Plein c’est un tremplin pour des personnes en situation de grande précarité (sans-abris, isolées, parfois en lutte contre des addictions) qui cherchent à renouer avec une vie sociale. Ici, l’insertion se fait pas à pas, avec une attention constante portée à la singularité de chaque personne et de son parcours de vie.

Trois dispositifs cohabitent pour accompagner les personnes en insertion au plus près de leurs besoins spécifiques : le dispositif Premières Heures en Chantier (PHC), pour des personnes très éloignées de l’emploi, à raison de 6 à 12 heures hebdomadaires, offre un premier contact avec le monde du travail, l’objectif premier étant la resocialisation. Les Ateliers Chantiers d’Insertion (ACI), de 14h à 24h par semaine, permettent à des personnes plus aptes à travailler de gagner en autonomie. Enfin, l’Entreprise d’Insertion (EI) engage des salariés en insertion à partir de 26 heures par semaine (jusqu’à un temps plein de 35h), avec des missions concrètes : collectes à vélo, logistique, relations clients et, toujours, la même exigence du travail bien fait.

L’accompagnement va bien au-delà de l’emploi. Les Encadrant·es Socio-Professionnel (ESP) ou Accompagnateur·ices Socio-Professionnel (ASP) sont présent·es au quotidien pour épauler dans les démarches administratives, ouvrir les droits sociaux, trouver un logement, et même proposer des temps de respiration comme des visites culturelles ou des cours de yoga. Parce que la reconstruction passe aussi par là : retrouver un rythme de vie, un cadre sécurisant et se sentir moins isolé.

La raison d’être de Carton Plein est claire : redonner dignité, autonomie et utilité sociale par le travail, dans un environnement où exigence et bienveillance se conjuguent. Et où, derrière chaque carton plié, se cache souvent un nouveau départ.

Séquences Clés : l’entreprise adaptée où le handicap est source d’inspiration

Chez Séquences Clés Production, entreprise adaptée (EA) permettant à des personnes porteuses de handicap d’accéder à un emploi salarié en CDI, c’est le travail qui s’adapte aux personnes, dans le respect de leurs rythmes, de leurs compétences et de leur santé. Derrière la caméra de cette entreprise de production audio-visuelle, des professionnel·les en situation de handicap exercent leurs talents dans un cadre à la fois exigeant et inclusif.

L’approche de Séquences Clés bouscule les schémas classiques, ici, pas de barrière entre "valides" et "invalides". Le comité exécutif lui-même est à l’image de cet engagement, composé à parts égales de personnes en situation de handicap et de collègues valides. « Le handicap, c’est la partie immergée de l’iceberg », évoque Maxime Dumont, Secrétaire général de Séquences Clés, où 65 % des salariés sont concernés par un handicap ou une maladie.

La référente handicap, garante des aménagements de poste et de la confidentialité des situations personnelles, joue un rôle-clé dans ce dispositif. Grâce à une grande flexibilité (notamment pour les rendez-vous médicaux) et une écoute attentive, chaque collaborateur peut contribuer pleinement et en confiance à l’activité de l’entreprise. Maxime Dumont résume ainsi la mission qui l’inspire au quotidien : « chez Séquences Clés, on te redonne la capacité de trouver ta place dans un collectif de travail. »

Finalement, ce qui est conçu pour accompagner les plus fragiles profite à tous. Car en insérant dans la vie économique des personnes porteuses de handicap, c’est toute l’entreprise qui vit l’inclusion au quotidien, faisant de la différence une normalité : « Chez Séquences Clés Productions, nous croyons avec conviction que la lutte contre la méconnaissance du handicap, qu’il soit visible ou invisible, passe par la présence de professionnel·les qui vivent avec un handicap, qui l’assument et en parlent sans peur d’être stigmatisés, devant, mais aussi derrière la caméra ! » (extrait du Manifeste de Séquences Clés Production)

La nécessité de conjuguer exigence économique et impact social

Initialement portées par des financements publics, les entreprises d’insertion doivent aujourd’hui compter davantage sur leur rentabilité et se structurer pour survivre, sans faire de compromis sur leur mission sociale. « Il faut faire aussi bien, pour beaucoup moins cher », résume Pauline Katchavenda, directrice du réseau Recyfe, premier réseau national de recyclage de menuiseries par des structures d’insertion. Pour y parvenir, ces entreprises doivent gagner en efficacité, professionnaliser leurs fonctions supports et diversifier leurs activités pour ne plus dépendre d’un seul client ou marché. Le défi est clair : rester compétitives tout en maintenant des parcours d’insertion solides.

Outre l’objectif d’augmenter la viabilité économique, cette montée en exigence renforce également la valeur de l’accompagnement. Car faire fonctionner une entreprise dans un contexte concurrentiel, c’est aussi offrir aux personnes en insertion un cadre de travail réaliste, professionnalisant et responsabilisant. « Être exigeant avec quelqu’un, c’est le reconnaître comme une personne qui compte pour la vie de l’entreprise », souligne Jean-Michel Oughourlian. Respecter un contrat, livrer dans les délais, produire avec soin : autant d’actes qui participent à la reconstruction personnelle et à l’intégration sociale. À Séquences Clés comme à Carton Plein, la qualité du travail devient un levier d’estime de soi et une réussite collective au service de l’inclusion.

Et si l’insertion professionnelle était l’affaire de tous ?

Les entreprises d’insertion ne se contentent pas de redonner une chance aux plus fragiles. Elles changent le regard de toute une société, rappellent que derrière chaque fragilité se cache une richesse, et que trouver sa place par le travail est une aspiration universelle. Leur modèle raconte que l’entreprise n’est pas seulement un lieu de production, mais un moteur d’accomplissement humain. Comme le résume Jean-Michel Oughourlian, « toute entreprise est d’abord un lieu où se fabriquent des hommes et des femmes, où se forge la personnalité, où s’édifie l’être humain et son indépendance vis-à-vis des autres ».

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