Explorer les futurs possibles avec les scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME

À l’heure où ce billet est rédigé, l’actualité est marquée par le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris engagé par Donald Trump, tandis que certaines voix politiques françaises proposent de supprimer l’Agence de la transition écologique ou ADEME.

Pendant ce temps-là, en matière de climat, les faits parlent d’eux-mêmes : la décennie 2011-2020 est la plus chaude depuis environ 125 000 ans, et le niveau de réchauffement actuel en France (moyenne sur la dernière décennie) par rapport à la période 1850-1900 est de 1,9°C (environ +1,1°C à l’échelle mondiale). Les impacts du changement climatique sont déjà là, et sont amenés à s'amplifier, comme les vagues de chaleur.

Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) rappelle dans son 6ème rapport qu’il n’est pas trop tard pour limiter le changement climatique, en atteignant la “neutralité carbone”, c'est-à-dire en réduisant les émissions de gaz à effet de serre à un niveau aussi proche que possible de zéro ; les émissions restantes présentes dans l’atmosphère étant réabsorbées (par les océans, les sols agricoles et les forêts par exemple).

La neutralité carbone d’ici à 2050 - l’Union Européenne s’y est engagée - ne sera possible qu’en accélérant dès à présent la baisse des émissions mondiales de CO2 et nécessite des actions fortes, des arbitrages, des choix.

Cela tombe bien : pour nous éclairer, l’ADEME a publié ses scénarios “Transition(s) 2050” : une exploration prospective des trajectoires possibles pour atteindre la neutralité carbone en France à l’horizon 2050.


Le saviez-vous ? Quand on parle d’un réchauffement mondial d’environ 1,1°C c’est par rapport à 1850, le début de l'ère industrielle et des relevés météorologiques. 1.1°C, c’est une moyenne et l’augmentation des températures est plus intense dans certaines zones comme au niveau de l’Arctique où le réchauffement aurait été jusqu’à 4 fois plus rapide qu’au global lors des 50 dernières années. Les données géologiques enregistrent d’autres évènements de réchauffement rapide (les “évènements hyperthermiques”), associées à des augmentations de gaz à effet de serre, mais leur rapidité ne semble jamais avoir égalé celle du changement climatique actuel. Le Maximum Thermique du Paleocène Éocene, il y a 56 millions d’années, est le meilleur analogue mais avec une augmentation du CO2 atmosphérique au minimum 4 fois moins importante que ce qu’on enregistre aujourd’hui (194 ppm/siècle aujourd'hui contre 4-42 ppm/siècle à l’époque, GIEC 2021, Physical basis, p.299).

Quatre scénarios pour construire l’avenir

Les 4 scénarios “Transition(s) 2050” de l’ADEME ne cherchent pas à prédire l’avenir, mais à décrire des modèles de société permettant d’atteindre la neutralité carbone en 2050 en France. Le but de ces travaux n’est pas de proposer un projet politique, ni de promouvoir une trajectoire à suivre, mais de rassembler des éléments de connaissances permettant de faire prendre conscience des implications des choix sociétaux et techniques que nous pourrions faire.

Chaque scénario repose sur de nombreuses hypothèses concernant les modes de vie, l’importance de la technologie, les structures économiques et les politiques publiques.

Pour faire simple, les futurs retranscrits vont de la “décroissance” au “technosolutionnisme” :

  1. "Génération Frugale" : Ce scénario mise sur la sobriété et la révision profonde des modes de consommation et de production. Il mise sur une transformation culturelle où les citoyens adoptent des comportements beaucoup plus responsables en matière de consommation d'énergie et de ressources.
  2. "Coopérations Territoriales" : Ici, l’autonomie locale et la solidarité entre territoires sont au cœur de la transition. La relocalisation des activités économiques et une gouvernance décentralisée permettent de réduire l’empreinte écologique tout en renforçant les communautés locales. La préservation de la nature est inscrite dans le droit.
  3. "Technologies Vertes" : Ce scénario repose principalement sur l’innovation technologique pour décarboner les secteurs économiques : c’est la croissance verte. Il privilégie les solutions technologiques avancées comme l’hydrogène, la capture de CO₂ dans l’air, et une électrification massive des usages (avec le développement des énergies renouvelables).
  4. "Pari Réparateur" : Ce scénario nous parle d’une société de surconsommation, basée sur une économie conduite par l’offre, une exploitation importante des ressources et de la nature. La société s’appuie sur de nombreuses technologies encore immatures à ce jour, par exemple des techniques de captage de CO2.

Vous avez dit “prospective” ? Loin d’une volonté de prédire l’avenir, la prospective est un exercice de pensée et de modélisation qui vise à éclairer les décisions et les actions en intégrant les enjeux du long terme. Ces travaux de l’ADEME ont duré 4 ans.

Des paris humains et technologiques

Cependant, ils se basent sur des paris humains (surtout “Génération Frugale”) et technologiques (surtout “Pari Réparateur”) plus ou moins forts.

D’un côté, "Génération Frugale", le scénario le plus décroissant, demande des efforts collectifs importants et rapides pour faire évoluer les modes de vie, avec par exemple une réduction forte de la consommation de viande et des mobilités.

D’un autre, les scénarios "Technologies Vertes", ou encore “Pari Réparateur”, reposent sur des investissements massifs dans la recherche et le développement, et incarnent des sociétés qui valorisent la croissance verte et la consommation de masse. De plus, ce dernier scénario mise sur des technologies de séquestration de CO2 qui n’existent pas encore ou ne sont que peu développées, ce qui pose la question de la manière dont la société se positionne en termes de gestion des risques.

Ces hypothèses fortes font ressortir “Coopérations Territoriales” et “Technologies Vertes” comme les plus réalisables, “à condition de prendre dès maintenant des décisions permettant de les réaliser en assurant une cohérence d’ensemble, grâce à une planification orchestrée des transformations, associant État, territoires, acteurs économiques et citoyens.”

Des implications différentes pour l’environnement

Bien que tous les scénarios visent la neutralité carbone en 2050, les conséquences sur d’autres indicateurs environnementaux varient. La plupart des pressions sur l’environnement sont de plus en plus critiques du scénario 1 “Génération Frugale” au numéro 4 “Pari Réparateur”.

C’est particulièrement le cas pour la quantité cumulée des gaz à effet de serre tout au long des trente prochaines années : en clair, si tous les scénarios permettent d’arriver à la neutralité climatique en 2050, tous ne réduisent pas les émissions à la même vitesse. Avec le scénario 4, il y a plus d’émissions de gaz à effet de serre qui s’accumulent progressivement au-dessus de nos têtes, et donc plus d’impacts ! Il y a aussi des différences sur l’empreinte matière, sur les consommations d’eau d’irrigation, les déchets ménagers, l’artificialisation des sols ou encore les polluants atmosphériques.

L’empreinte carbone par habitant, c’est-à-dire le “poids carbone” de notre mode de vie, en prenant aussi en compte nos importations et exportations hors du territoire, diminue en 2050 pour tous les scénarios par rapport à son niveau de 2015, mais davantage pour “Génération Frugale” que pour les autres scénarios.

L’atteinte de la neutralité carbone au niveau territorial français en 2050 n’est donc pas la seule cible : il faut réfléchir aux conséquences de nos choix à d’autres égards ! En tout cas, l’exercice montre les co-bénéfices de la sobriété, c’est-à-dire la maîtrise de la consommation de biens, d’énergie et de services, qui apparaît comme un levier d’action qui permet de diminuer les différentes pressions environnementales.

Conclusion : un futur à inventer, dès à présent !

Les scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME nous rappellent que le futur est entre nos mains. Ces projections ne prédisent pas l’avenir, mais offrent une base solide pour imaginer des transformations ambitieuses, réalistes et adaptées aux défis environnementaux, sociaux et économiques. Face à l’urgence climatique, ces scénarios invitent à l’action et le moment est venu de se poser vraiment la question du modèle de société dans lequel nous désirons vivre.

Ces trajectoires sont-elles toutes souhaitables ? Sommes-nous prêt·es à agir suffisamment vite et fort et à transformer nos choix de consommation, les modèles économiques de nos organisations, et nos politiques publiques ? Et puis, entre nous : est-il encore supportable de vivre dans une société basée sur l’exploitation de la nature, des énergies fossiles, et qui semble mettre au cœur de sa boussole la croissance et la consommation, au détriment d’une réflexion de long terme sur l'habitabilité de notre planète ?

Chaque mégatonne de CO2 non émise, et chaque dixième de degré de réchauffement évité comptent !

Êtes-vous prêt·es à relever le défi, dans votre vie personnelle et professionnelle ?

Merci beaucoup à l'ADEME pour leur travail de recherche et à Jean-Louis Bergey qui intervient depuis plusieurs années durant le Programme Associé pour présenter les scénarios de transition à nos Associé·es.


1. Site du Ministère de la Transition Ecologique https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/changement-climatique-causes-effets-enjeux

2. Haut Conseil pour le Climat, 2023. Acter l’urgence, engager les moyens. https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2023/06/HCC_RA_2023-Resume-executif.pdf

3. IPCC, 2021, Sixth Assessment Report https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/

4. Ratanen et al., 2022, Nature Communications earth and environment https://www.nature.com/articles/s43247-022-00498-3