‘S’organiser autrement’? (1/2)

De la théorie à la pratique : l’exemple d’Enercoop (1/2)

‘Intelligence collective’, ‘holacratie’, ‘entreprise libérée’, ‘gouvernance partagée’, ces mots sont aujourd’hui partout… mais que veulent-il dire concrètement ?

Pour y voir plus clair, Anne-Sophie Michel, Associée On Purpose de la promotion parisienne d’Avril 2017 est allée voir Mohamed Sifaoui, responsable des services énergétiques chez Enercoop.

C’est avec sa casquette de membre du Jardin d’Animation et de Facilitation que Mohamed a bien voulu répondre aux questions d’Anne-Sophie et parler des expériences menées par Enercoop. Mohamed précise qu’il ne partage là que son point de vue, à partir de son expérience et de sa fenêtre personnelles.   

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                                                                       Mohamed Sifaoui © Tiphaine Blot

Enercoop est un fournisseur d’électricité d’origine renouvelable qui a le statut de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Son projet de réappropriation citoyenne de la transition énergétique est aujourd’hui porté par un réseau de coopératives sur le territoire (10 SCIC en France).

La coopérative s’est lancée, il y a 3 ans, dans l’expérience de ‘gouvernance partagée’.

Bonjour Mohamed, avant de s’intéresser au cas pratique d’Enercoop, une première question afin de comprendre de quoi il s’agit: comment définirais-tu la ‘Gouvernance Partagée’ ?

L’expression ‘gouvernance partagée’ est problématique à mon sens, tout comme l’est celle d’entreprise libérée’. Il s’agit de simplifications contredisant la non-dualité (bien et mal) des fondamentaux de ce type de pratiques. Je préfère parler de s’organiser ‘autrement’. ‘Autrement’ se positionne en alternative à un imaginaire commun de ce qu’est l’organisation humaine dominante : pyramidale, top-down, peu soucieuse des enjeux individuels au sein du collectif et peu propice à l’agilité et la résilience, alors même que nous vivons dans un monde en instabilité permanente. Remettre en question ce modèle et cet imaginaire commun, c’est se donner l’intention de construire autre chose, répondant plus justement aux besoins des individus, du collectif et de sa mission.

Quel est le lien pour toi avec l’intelligence collective ?

Ma définition de l’intelligence collective serait la transcendance, par la communication, de la somme des intelligences, dans un cadre donné. En résultent de la créativité, de la perception des failles et risques, des opportunités, des idées, en gros l’émergence de quelque chose qui n’aurait pas pu être apporté s’il était fait par une seule personne ou de façon mécanique.

Quelle est la finalité?

L’intelligence collective demande une confiance (non-aveugle) accordée au groupe. Il n’y a pas forcément de finalité, de but en soi. Elle peut à la fois amener la coopération, l’intérêt général, l’amélioration sociétale et la prise en compte de l’environnement ; tout comme elle peut permettre son contraire. Toutefois, elle semble permettre la connaissance de la différence. Mon prochain, l’Autre, est à la fois si semblable et pourtant si différent. Peut-être alors ces interactions multiples pourraient amener une empathie amplifiée. Ceci étant une conviction personnelle.

L’intelligence collective ne se suffit donc pas à elle même ?

Je la mettrais en lien avec l’intention — d’une association, d’une coopérative, d’une entreprise, d’un Etat — en disant : “c’est quoi l’intention, ou la raison d’être, ou la mission de cette structure?” A partir de cet élément, l’intelligence collective peut apporter des solutions au service de la mission ou de la raison d’être d’une organisation humaine — en plus d’apporter de la résilience face aux changements et à l’accélération.

Chez Enercoop on parle beaucoup de raison d’être, comment la définir?

La raison d’être est inscrite au démarrage d’une organisation — bien que celle-ci puisse évoluer. Est-ce uniquement pour rémunérer toujours plus les actionnaires ? Ou y a-t-il autre chose que seule cette organisation apporte au monde ? La question n’est jamais simple. À Enercoop, les statuts juridiques et la charte du réseau de coopératives font foi. Enercoop oeuvre à la transition énergétique citoyenne et la réappropriation de la question de l’énergie par les citoyens.

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Comment est née la volonté de ‘s’organiser autrement à Enercoop ?

Elle n’est pas née, elle a toujours été un peu présente, elle a juste cheminé en lien avec le développement du projet, et ça continue. Enercoop est, dès le départ, un projet militant avec des gens (clients / sociétaires / salariés / autres) qui sont venus vers le projet pour cette raison d’être. En travaillant dans une structure qui propose une alternative coopérative (Enercoop étant une Société Coopérative d’Intérêt Collectif), il y a toujours eu un besoin de s’organiser autrement et de se parler autrement. Avec le défi de la croissance d’effectif et du changement d’échelle s’ajoute forcément le défi de la préservation et de l’amélioration de la qualité relationnelle au travail. Certaines situations ont créé une dynamique — co-portée par les salariés et la Direction — de demande d’accompagnement au Faire-Ensemble. Nous avons été accompagnés par l’Université du Nous (UDN).

L’UDN a proposé des outils et surtout des pratiques à cultiver au quotidien. C’est bien cela qui est resté : une culture de la coopération. L’UDN a donné quelques éléments qui permettent d’aller vers cet objectif.

On a commencé à parler du besoin de construire des ‘cadres de sécurité’— se mettre d’accord sur quelques valeurs, notions, postures qui nous paraissent essentielles — pour faire émerger des choses, s’accepter et avancer ensemble.

Il y a des outils qui permettent l’émergence d’idées, de propositions, de bilans. La méthode des 6 chapeaux de Bono s’est bien répandue par exemple. Le principe, c’est d’enfiler des chapeaux l’un après l’autre : un qui amène des éléments factuels (la neutralité), un autre qui pose une critique négative, un autre une critique positive, un autre des ressentis et des émotions provoqués. Puis vient un chapeau de créativité. Tout le long, un chapeau organisateur peut être demandé. Le tout permettant d’organiser la pensée individuelle et collective.

Cette méthode est-elle utilisée en réunion ?

Oui, l’idée est de poser la problématique et à partir de là, tu enchaines les chapeaux. Je l’ai beaucoup utilisée. Elle permet entre autres de prendre le temps de faire des bilans sur la façon dont on s’organise. Il faut juste un groupe, une problématique, un facilitateur, un paper board, un feutre et c’est parti !

Dans ce que tu dis, j’entends qu’il y a une forte démarche individuelle. Comment se passe l’appropriation?

C’est une des choses les plus compliquées à appréhender parce que c’est de l’humain. On est tous différents, on n’a pas les mêmes besoins, ni le même imaginaire ou vécu. Quand tu arrives à Enercoop tu es mis en face de toi-même — ce qui peut même être vécu comme violent. Il y a de fortes chances de dépaysement, ce qui amène toujours, à mon sens, un minimum de questionnement. Cette diversité est une vraie richesse ainsi qu’une source de remise en question permanente pour le collectif. Elle permet d’éviter la pensée unique.

Concrètement, afin de cultiver la coopération, Enercoop s’est donné des moyens. La construction du Jardin (le mot n’étant pas choisi pour rien) d’Animation et de Facilitation (JAF par la suite) avait comme intention de questionner et d’accompagner les pratiques managériales en interne. Le JAF anime des formations sur la coopération, facilite des temps d’émergence et de convergence, accompagne à l’élaboration de temps collectifs et apporte son regard et ses conseils pour la structuration de la coopérative.

Fin de la première partie. Retrouvez la suite de l’entretien dès la semaine prochaine!