Une Economie circulaire, sociale et solidaire — Rencontre avec Lemon tri
Fatem-Zahra Berrada, Associée On Purpose Octobre 2015, est partie à la rencontre de Lemon tri, entreprise sociale qui agit concrètement pour le développement durable.
En 2010, Emmanuel et Augustin, amis depuis l’enfance, se retrouvent après leurs études avec en tête l’envie d’entreprendre et d’agir concrètement pour le développement durable. Augustin finit tout juste son cycle de formation à l’EDHEC, alors qu’Emmanuel, diplômé de Paris Dauphine, termine sa première année dans une grande entreprise de l’énergie. Un an plus tard, Lemon tri est né.
Lemon tri anime aujourd’hui un service de collecte des déchets e boissons, consommées hors domicile. L’entreprise installe des machines innovantes, qui identifient et trient les emballages insérés par les utilisateurs, et les récompensent en retour. Lemon tri est présent dans des entreprises, des campus, des centres commerciaux et des équipements publics, et compte plusieurs milliers d’utilisateurs quotidiens.
Un vendredi soir j’ai rendu visite à la joyeuse équipe de Lemon tri dans leur locaux de Pantin.
Voici le résumé d’un échange avec Augustin. Nous avons abordé l’activité de Lemon tri à travers les thèmes de l’entreprise sociale, de l’insertion et de l’économie circulaire.
Lemon tri existe depuis 2011 et est officiellement une entreprise de l’ESS depuis qu’elle a obtenu l’agrément en 2013. Est-ce que tu peux nous parler de votre démarche?
La demande d’agrément a été assez naturelle. D’abord parce que l’ESS était un secteur d’activité auquel nous nous intéressions. Ensuite, le fait que nous soyons engagés sur la question environnementale fait écho à ce qui se fait dans l’ESS. En 2013 nous avons simplement présenté notre activité et un certain nombre de pratiques que nous avions déjà adoptées, et cet agrément nous l’avons obtenu directement.
Nous l’avons aussi obtenu pour nos engagements vis-à-vis de nos partenaires. En France, pour assurer le vidage des machines et le recyclage de la matière, nos partenaires sont soit des entreprises d’insertion, soit des entreprises adaptées, soit des ESAT.
Cet agrément est valable 2 ans et maintenant nous sommes en process de renouvellement, dans un contexte nouveau : la loi a beaucoup évolué et le champ de l’ESS s’est restreint. S’est alors posée, il y a quelques mois, la question suivante : “Comment fait-on pour rester, et même aller plus loin, au sein de l’ESS”?
Une balle de canettes prête à être recyclée
Quelles sont donc les prochaines étapes?
Nous avons décidé de diviser notre structure en deux parties; la partie Lemon tri qui est notamment en charge de l’investissement dans le matériel de recyclage. Investissement extrêmement lourd et qui doit lever des fonds sur une base relativement risquée. C’est lié à la structure de notre business model, basé sur des abonnements : pour bénéficier de nos prestations, qui incluent la location des machines, les entreprises paient mensuellement de petites sommes sur une longue durée. Nous devons donc avancer beaucoup d’argent, investir massivement et cela comporte un certain nombre de risques.
Cet argent, en tout cas au départ, nous l’avons plutôt levé auprès de bailleurs et de capitaux de la sphère privée, ce qui nous limitait un peu du fait de leurs attentes en terme de rendements économiques. Nous avons un peu été pris en tenaille car nous avions cette volonté d’aller plus loin sur le coté social.
Donc aujourd’hui nous lançons une nouvelle structure dédiée à l’insertion : Lemon aide, qui a un ancrage social beaucoup plus fort. Elle va s’occuper notamment de toute la partie collecte, tri et reconditionnement de la matière. Elle fait appel à de l’humain, alors que Lemon tri repose davantage sur de l’investissement dans du matériel productif, des machines, etc.
C’est ainsi qu’aujourd’hui nous nous retrouvons avec 2 structures, une structure commerciale plus classique (même si on garde toutes nos bonnes pratiques et nos valeurs !) qui prend en charge l’investissement et une structure sociale renforcée que nous avons envie de porter loin et de faire vivre au maximum au sein de l’ESS.
C’est donc de cette façon que vous conciliez rentabilité et impact social, avec ces deux structures qui se supportent l’une et l’autre?
Oui et ces modèles hybrides semblent de plus en plus fréquents dans l’économie sociale. Dans notre cas, ce choix est aussi lié à la particularité de notre secteur d’activité, dans lequel il faut compter 1€ d’investissement pour obtenir 1€ de chiffre d’affaire !
Lemon tri est un acteur de l’ESS et aussi de l’économie circulaire, car vos ressources sont les déchets plastiques et canettes qui sont collectés, et valorisés pour être revendus et réemployés.
D’après toi, comment peut-on sensibiliser davantage les entreprises et les citoyens au tri ?
La partie entreprise (nos clients) et la partie citoyen (nos utilisateurs) sont pour nous deux choses différentes.
Sensibiliser les entreprises, c’est ce que nous faisons déjà depuis 5 ans : convaincre des entreprises commerciales de passer à un service qui parfois leur coûte un peu plus cher mais qui est plus vertueux. C’est notre cheval de bataille quotidien et cela fonctionne car nous avons convaincu beaucoup de comptes, dont des grosses structures qui ressentent ce devoir d’exemplarité. Il y a également beaucoup de campus et d’écoles qui ont envie de sensibiliser leurs étudiants, de leur montrer que cette démarche correspond aux préoccupations de demain, et cela s’inscrit finalement dans leur projet pédagogique.
Pour la sensibilisation du public, qui sont nos utilisateurs, nous faisons un maximum de pédagogie mais usons aussi de quelques artifices ! Lemon tri c’est le tri qui est aussi incitatif; nous essayons de rendre le geste de tri le plus sympathique et le plus “sexy” possible ! Via des mécanismes de jeu, avec une loterie où de temps en temps on gagne un café ou un carré de chocolat équitable, et en laissant le social au coeur du projet : systématiquement l’utilisateur peut choisir de ne pas récupérer son gain mais plutôt de le reverser à un projet associatif. C’est un système de micro-dons. L’ensemble de ces gestes de tri génère ainsi une valeur économique, équivalente à la valeur de la matière que nous revendons. Très concrètement quand on met une bouteille ou une canette ça fait un centime de valeur de matière première et c’est ce centime que nous proposons de reverser à une association. L’année dernière, uniquement sur les canettes et les bouteilles, nous avons généré 5 000€ de dons. Cela ne représente pas des sommes astronomiques, mais ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières !
Comment l’économie circulaire peut-elle encore plus devenir une réalité dans nos modes de consommation et de production ?
L’enjeu pour moi est d’arriver à démontrer que tout le monde a à y gagner. Par exemple par le levier financier : en France nous n’avons pas de pétrole, pas de mines, donc le recyclage des canettes et des bouteilles constitue une richesse, une source de matière première. Aujourd’hui on ne recycle qu’une bouteille sur deux, ce qui veut dire qu’il y a 50% de ce flux qui est soit brulé, soit enfoui. Mieux gérer ces emballages contribue à améliorer notre balance commerciale et surtout à créer de la valeur locale, bénéfique pour l’emploi.
Le levier environnemental est aussi très fort. Quelle planète va t’on laisser demain ? Est-ce qu’on peut apporter notre pierre à l’édifice pour qu’on n’ait pas un septième continent de plastique qui flotte à l’autre bout du monde ou une planète avec deux degrés de plus ? Chez Lemon tri, nous n’avons pas trop ce parti pris moralisateur, parce que ce discours est un peu pesant. Toutefois il est primordial de rappeler ces enjeux et dire le plus souvent possible que nous pouvons être acteur du changement en orientant nos achats, nos activités professionnelles, nos engagements associatifs ou autres.